lundi 17 janvier 2011

Amers, Saint-John Perse

Extrait 1 (incipit)

« Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze ?

Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d'un âge sans déclin : la Mer, immense et verte comme une aube à l'orient des hommes,

La Mer en fête sur ses marches comme une ode de pierre : vigile et fête à nos frontières, murmure et fête à hauteur d'hommes – la Mer elle-même notre veille, comme une promulgation divine... »



J'ai découvert ce poète il y a deux ans avec Vents et j'ai achevé récemment l'intégralité de son œuvre poétique – plutôt modeste - avec ce recueil, Amers, qui est peut-être ce qu'il a écrit de plus beau. La poésie de Saint-John Perse est sans doute une des moins accessibles qui soit. On a l'impression d'avoir à nouveau une douzaine d'année et de lire ses premiers gros romans ; on ne comprend pas tous les mots, mais on adore. Le poète est en effet un amoureux des mots, et il affectionne utiliser ceux qu'on ne trouve même pas dans un dictionnaire basique ; il pratique même à l'occasion les néologismes. Mais quelles délices que ces associations sensuelles, que ces versets qui chantent la mer et les parfums exotiques...

Extrait 2

« … Ah ! tout n'est-il que cette éclosion de bulles heureuses qui chantent l'heure avide et chantent l'heure aveugle ? Et cette mer encore est-elle mer, qui creuse en nous ces grands bas-fonds de sable, et qui nous parle d'autres sables ? »


Vous l'aurez remarqué, pas de métrique régulière ici, mais de longues périodes dont le rythme profond me fascine ; pas de rimes, mais des échos sonores ici et là qui structurent l'ensemble avec une finesse poétique qui témoigne d'une maîtrise parfaite du langage. Trop parfaite pourrait-on objecter. On peut en effet reprocher à Saint-John Perse son côté encyclopédique, son côté par trop sibyllin... Pour ma part, je m'immerge complètement. Quelle force se dégage de ce poème ! Je retrouve quelque chose de l'épopée, quelque chose de grand qui soulève le cœur et le remplit d'ardeur – c'est encore plus vrai pour Vents. Ces versets ont même à l'occasion quelque chose de biblique, quelque chose d'un grand récit sur la genèse du monde et le cœur de l'homme.
Et je suis transporté.
Je reste bien conscient qu'il est difficile d'être accroché par cette poésie, mais je tenais à faire partager cette passion que j'éprouve pour cette poésie inqualifiable et qui ne ressemble à nulle autre.

Extrait 3 (pour la route)

« En toi, mouvante, nous mouvant, en toi, vivante, nous taisant, nous te vivons enfin, mer d'alliance,

Ô Mer instance lumineuse et mer substance très glorieuse, nous t'acclamons enfin dans ton éclat de mer et ton essence propre :

Sur toutes baies frappées de rames étincelantes, sur toutes rives fouettées des chaînes du Barbare,

Ah ! sur toutes rades déchirées de l'aigle de midi, et sur toutes places de pierres rondes ouvertes devant toi comme devant la Citadelle en armes,

Nous t'acclamons, Récit ! – Et la foule est debout avec le Récitant, le Mer à toutes portes, rutilante, et couronnée de l'or du soir. »

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