mercredi 20 janvier 2016

Naissance d'un journal

" Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? "

Entends-tu la clameur du blog abandonné ?
Il est pour son infortune remplacé par un autre,
Qui ne ploie pas encore sous le poids des années
Et qui pour le moment souhaite devenir ton hôte.

https://lecteurazerty.wordpress.com/

samedi 31 janvier 2015

Lectures 2014 - seconde partie

Dans un article précédent j'écrivais un court commentaire de chaque livre que j'ai lu durant l'année 2014, jusqu'à m'arrêter à la moitié. Voici la suite.


Markham ou la dévoration, Mike Resnick

J'ai déjà parlé de Mike Resnick. Il élabore ici une réécriture du mythe de Moby Dick, où la créature est remplacée par un scientifique de génie disparu depuis des années, et le capitaine Achab par un journaliste téméraire à l'ambition démesurée. Une part de l'intérêt du récit est qu'il soit raconté du point de vue d'un explorateur de planète en charge de l'expédition, mais qui en perd peu à peu le contrôle. L'absence de prise de position tranchée de la part du narrateur, laisse le loisir au lecteur de se faire sa propre opinion sur le journaliste dont la folie contamine l'équipage. En effet sa cruauté sert un intérêt supérieur : retrouver un vaccin qui permettra de sauver des millions de vie. Par ailleurs, comme presque toujours chez cet auteur, on y retrouve des réflexions sur la colonisation. Meilleur que "Ivoire", qui à la réflexion ne sortait pas vraiment du lot.


Photographie plasticienne, l'extrême contemporain, Dominique Baqué

Étudiant pendant trois ans dans une école qui favorise souvent le style documentaire et la "straight photography", je dois avouer que la photographie plasticienne n'est pas vraiment ma tasse de thé. Raison de plus pour qu'un de nos professeur nous demande de lire cet ouvrage. Au final, je reste toujours perplexe devant la sécheresse de certains travaux trop conceptuels pour moi (on ne fait pas de la photo uniquement avec des idées...), mais force m'est d'avouer que je me suis pris au jeu de cette lecture pourtant peu évidente. Un panorama de la création dans ce domaine, mais surtout une introduction à ses problématiques.


Thomas le rimeur, Ellen Kushner

Un bon roman de fantasy à propos d'un barde à la destinée exceptionnelle, qui fut notamment enlevé par la reine des Elfes. J'ai apprécié cette histoire racontée par trois narrateurs successifs, mais je ne suis pas certain que cette lecture m'ait profondément marqué, ce que j'ai trop souvent la faiblesse d'attendre de la part d'un livre.


Charades pour écroulés, Raymond Chandler

Chandler, c'est l'inventeur de Philip Marlowe, le plus célèbre des détectives privés, souvent interprété au cinéma par Humphrey Bogart. L'imper, la cigarette, le chapeau, c'est lui. Ce livre est l'une de ses enquêtes, on en retrouve toutes les caractéristiques : femmes fatales à chaque coin de rue, gueules patibulaires, intrigue complexe composée d'un écheveau de fils entremêlés... Dommage que ce ne soit que ça et que l'on n'atteigne jamais le niveau de son chef-d’œuvre Le grand sommeil.


Tout comptes faits... ou presque, Stéphane Hessel

Après Indignez-vous ! qui avait eu un énorme succès (4 millions d'exemplaires vendus), Stéphane Hessel a développé ses idées dans plusieurs publications qui n'ont pas connu le même retentissement. Des idées consensuelles selon certains, mais il suffit de voir l'opposition qu'il a soulevé chez des imbéciles, pour comprendre qu'il n'est pas inutile de les défendre à nouveau. Comme le titre l'indique, c'est une forme de testament de l'auteur : un retour sur son parcours de résistant puis d'ambassadeur, mais aussi un moyen de parler de sa vision du monde. Avant tout, c'est son optimisme qui transparait dans ses propos : la crise sociale, environnementale et politique que nous vivons actuellement est selon lui les prémices d'un changement qui pourrait amener un monde meilleur. Ce n'est pas un vraiment un philosophe, non plus un grand écrivain (il ne faut donc pas s'attendre à du Sartre), mais un citoyen engagé qui propose des réflexions dignes d'intérêt.


Cartographie du merveilleux, André-François Ruaud

Ce livre est une mine d'or, puisqu'il s'agit d'un guide de lecture de la fantasy. Après une introduction qui présente l'histoire et les caractéristiques du genre, il propose un court commentaire sur 100 publications dans ce domaine. Le problème de ce genre d'exercice c'est que s'agissant d'une sélection, qui plus est éditée selon les circuits traditionnels, il est prié de recouvrir d'un voile pudique les ouvrages méritant des critiques négatives. Il eut été plaisant et instructif en effet d'assaisonner de propos amers la salade d'éloges qui est faite. Cela dit, l'immense culture de l'auteur fait de ce bouquin le meilleur moyen de faire des découvertes. On s'aperçoit aussi grâce à ce panorama de la formidable diversité et de la créativité du genre fantastique, bien souvent cachée malheureusement par la horde des publications mainstream, qu'André-François Ruaud appelle non sans humour " BCF", pour "Big Commercial Fantasy" (qui a dit Goodkind ?).


La déchirure, Robin Hobb

J'en parlais à l'instant, on est en plein dedans. Ce livre est typique des romans de fantasy écrits par des professionnels (qui vivent de leur plume) et destinés à des adolescents. Robin Hobb est d'ailleurs une spécialiste du genre et ce premier tome inaugure un nouveau cycle intitulé Le soldat chamane. Mais ce n'est pas que cela, car au delà de la quête initiatique plutôt conventionnelle et de l'univers "médiéval-fantastique" assez générique, quelques idées originales surviennent. Par exemple, cette race à la culture proche de celles des amérindiens qui est le prétexte à un choc culturel pour la narrateur. Bref, une série que j'aurais aimé lire adolescent et que je continuerai avec plaisir... si je trouve la suite d'occasion.


Marcovaldo, Italo Calvino

Une suite de courts récits d'une poésie rafraîchissante. Marcovaldo est un prolétaire rêveur, qui se désole de ne pas pouvoir habiter à la campagne et de devoir se serrer la ceinture pour nourrir ses enfants, mais qui trouve l'aventure à chaque coin de rue. Calvino est dans le registre du conte, ce qui ne l'empêche pas de dépeindre avec tristesse notre société de consommation et d'urbanisation effrénée où l'humain a bien du mal à trouver sa place.


Le mec de la tombe d'à coté, Katarina Mazetti

Une histoire d'amour à la croisée d'Anna Gavalda et de Bridget Jones entre deux personnes que tout oppose, une bibliothécaire et un agriculteur. Alors oui, c'est drôle, oui, c'est touchant, parfois même pas si bête, mais je n'ai pas pu m'empêcher d'être agacé par le mélange de guimauve et d'humour trash, qui correspond trop précisément à ce qui plaît souvent au lectorat féminin.


Platonov, Anton Tchekhov

La claque que je me suis pris dans la gueule à 18 ans. L'une de mes très rares relecture, faite parce que j'avais le cafard. Toujours mon auteur de théâtre préféré.


Théorie du corps amoureux, Michel Onfray

Cette lecture s'est déroulée en parallèle d'une réflexion que j'effectuais au même moment sur les relations amoureuses et j'aurais aimé y consacrer un article entier. Avant tout, cet essai de philosophie est un manifeste pour le libertinage. L'auteur, selon sa méthode habituelle, y présente à travers une "généalogie du désir", un panorama de l'histoire de la philosophie occidentale sur le sujet. Il la divise en deux traditions. Pour résumer il y aurait d'un coté les essentialistes masochistes (Platon, Pythagore, les chrétiens) et de l'autre les matérialistes jouisseurs (Épicure, Lucrèce, Ovide). Lui-même se situe dans les seconds tandis que les premiers seraient responsable de l'ensemble des malheurs de l'humanité (l'Inquisition, c'est la faute de Platon). Ce qui est touchant chez Michel Onfray, c'est que bien que son argumentation soit rigoureuse, j'ai le sentiment que ses idées proviennent en réalité d'abord de raisons personnelles. Qu'elles qu'en soit les causes, cela n'enlève d'ailleurs rien à leur valeur et c'est peut être le cas pour la majorité d'entre nous. En véritable philosophe, il a cependant  le courage de ne vouloir juger une idée qu'à l'aune de sa propre réflexion, ce qui l'amène comme beaucoup d'intellectuels à se tromper peut être tout autant, mais de manière différente que le commun des mortels. Par contre, autant sa prise de parole est claire et concise, autant son style à l'écrit est excessivement recherché (complexe par rapport à ses origines modestes ?). Malgré quelques erreurs lorsqu'il s'aventure sur des sujets qu'il ne connait pas (la prétendue liberté sexuelle que connaitrait l'Asie...), sa démonstration permet de prendre du recul par rapport à notre conditionnement social concernant notre vision des relations amoureuses, et en particulier le couple érigé en modèle. En effet, que ce soit dans le Banquet de Platon ou à travers les écrits parfois délirants des théoriciens du christianisme, l'idéologie dominante en Europe depuis deux mille ans dégrade le plaisir sexuel et glorifie l'amour spirituel monogame. Ce qui selon notre auteur, amènerait dégout du corps, misogynie et intolérance vis à vis de tout ce qui serait considéré comme "impur". Que l'on soit d'accord ou non avec ces conclusions, ce regard critique aide l'individu à s'émanciper et ainsi à faire un choix. En fin de compte, la philosophie c'est un peu comme l'éducation populaire : permettre à tous de se former tout au long de sa vie afin d'être libre.


Phèdre, Platon

Esprit de contradiction, quand tu nous tiens... Après avoir lu tant de mal sur Platon, il fallait absolument que je me refasse une opinion. Au final, le papy de la philosophie paraît bien inoffensif. Et pourtant, on est ici en plein dans le sujet qui met hors de lui tonton Onfray, puisque dans ce texte Socrate s'attache à prouver l'immortalité de l'âme (par un raisonnement bidon, soit dit en passant). Ce que j'aime chez lui, c'est que comme dans Le Banquet, on sent qu'il s'agit encore d'une civilisation de l'oral. Les démonstrations sont parsemées d'anecdotes en apparence anodine, qui rendent la lecture plaisante et dont on ne sait quelle part est due au hasard. Personnellement cela me fait penser aux Evangiles.


Légendaire, Anthologie

Moi qui me plaignait justement de la monotonie de la littérature en Fantasy, genre que pourtant j'apprécie, ce recueil de nouvelles en est le parfait contre-exemple. Pas une seule vraie fausse note et de nombreuses perles parmi ces textes écrits par des auteurs français, dont tous sauf deux avaient moins de trente ans au moment de la publication. Félicitations en particulier à Fabrice Colin, Mathieu Gaborit et Magali Ségura pour leur style et leur imagination. A coté de cela, d'honnêtes pastiches de Roger Zelazny, Jack Vance ou Glen Cook qui soulignent la difficulté de s'éloigner des influences anglo-saxonnes. Sans conteste une réussite cependant, que l'ont peut attribuer à Stéphane Marsan pour avoir réuni ces textes. Un vent rafraichissant dans une contrée littéraire qui à tendance à prendre la poussière.


Le barbier de Séville, Caron de Baumarchais

Célèbre comédie dans la lignée de celles de Molière (ce dont l'auteur ne se cache pas dans sa lettre à la critique), avec des quiproquos, un ton irrévérencieux et une attention peut être encore plus recherchée dans le style. Comme pour beaucoup de pièces, j'ai cependant du mal à me faire une idée à la simple lecture de ce que cela doit donner sur scène.


Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard

Souvenirs... Un livre commencé la première fois alors que je partais pour deux semaines inoubliables à Istanbul avant de venir m'installer à Rome. Comme un pont entre l'Europe et l'Orient, pont que doit construire symboliquement Michel-Ange pour relier les deux continents à la demande du sultan Bayazid. Et en effet, c'est un choc culturel qu'expérimente l'artiste, résolu en partie à travers son amitié ambiguë avec le poète ottoman Mesihi de Pristina. Lecture abandonnée une première fois donc, car je n'étais pas dans les dispositions adéquates. Il est vrai que l'intérêt de ce récit ne se trouve pas dans l'histoire, mais dans la description des sensations, des peurs et des étonnements de l'artiste face à ce monde inconnu. Une écriture recherchée, faite de touches impressionnistes distribuées en chapitre parfois d'une seule page. Un long poème en quelque sorte, sur une expérience que le génie italien traverse comme dans un rêve

Il y aurait de nombreux titres à ajouter à cette liste, car comme Pennac je me réserve le droit de ne pas finir un livre (en particulier quand il est mauvais, ce qui explique la relative mansuétude de mes critiques). Parmi ceux-ci, citons quand même "Paradis perdu, suivi de La cinquième colonne" d'Hemingway, qui malgré son indéniable talent est vraiment trop distant pour moi. Pas abandonné mais en pause, "Les frères Karamazov" de Dostoïevski, génial mais l'équivalent en littérature du pudding et je préfère prendre mon temps pour continuer de le dévorer avec plaisir. Après coup, je me rends compte que non seulement cette année la moitié des auteurs que j'ai lus étaient anglo-saxons, mais qu'en plus il n'y avait que cinq femmes dans le lot ! Non que je pense devoir respecter une quelconque parité dans mes choix, il est quand même dommage de ne pas plus m'ouvrir sur d'autres horizons : maintenant que j'en ai conscience, je suis sur que mes envies en tiendront compte.

mercredi 14 janvier 2015

Lectures 2014 - première partie

Comme l'année est presque écoulée, j'avais envie de faire un compte-rendu des 28 lectures effectuées durant cette période. Un bilan avec cette fois un certain nombre de livres avant tout "divertissants", peut être pour compenser des lectures obligatoires. Voyons voir, j'ouvre mon carnet et je commence par...


La maladie blanche, Karel Capek


Une pièce de théâtre que l'atelier théâtre de l'ULB avait envisagé de jouer, proposée par un ami. Une maladie mortelle décime la population mondiale, un médecin trouve un remède et soigne gratuitement les pauvres, mais refuse de s'occuper des riches s'ils ne mettent pas un terme aux guerres et aux injustices sociales. Une intrigue simple et bien construite, efficace même, qui traite de grands thèmes sociaux avec humanité. Par rapport à L'invitation au château qui a finalement été retenu, manque peut être d'un grain de "Dali".


Roublard, Terry Pratchett


Terry Pratchett quitte pour une fois les rivages de la fantasy, pour nous embarquer à la suite d'un jeune "ravageur" sans le sou dans le Londres de Dickens, qui y fait d'ailleurs plus d'une apparition. Toujours drôles et délirants, ses récits souffrent parfois d'un manque de construction et du syndrome du "grand-n'importe-quoi". Pas ici, avec cette histoire très bien écrite et publiée récemment, alors que l'auteur avait sans doute déjà pris "de la bouteille".


L'invitation au château, Jean Anouilh


La pièce qui a été jouée par l'atelier théâtre de l'Université Libre de Bruxelles fin mars 2014 et dans laquelle j'ai eu le plaisir d'interpréter le rôle des jumeaux Horace et Frédéric. Autant l'un est dominateur et sur de lui, autant l'autre est timide et sensible. C'est au second que va se fiancer la belle et richissime Diana Messerschmann, qui semble pourtant préférer le premier. Celui-ci invite alors une jeune danseuse à un bal afin que son frère en tombe amoureux... Une comédie légère en apparence, qui prend parfois des airs de vaudeville, mais révèle sa nature complexe au fur et à mesure que se dévoile l'intrigue. En effet, chaque personnage est obligé de se positionner par rapport à une société cynique qui n'apporte de l'importance qu'au pouvoir et à l'argent. Des dialogues ciselés, une certaine finesse, une mécanique implacable, beaucoup d'humour, certaines libertés prises avec les conventions théâtrales et un regard sur le monde finalement assez désabusé. Pas de doute, ce petit bijou ne mérite pas le relatif oubli dans lequel il demeure.


Le meilleur des mondes, Aldoux Huxley


Déjà lu il y a plusieurs années, relu pour un cours de littérature, ce dernier m'a permis de mieux comprendre ce roman, notamment les influences du bouddhisme et du behaviorisme sur l'auteur. Contrairement à 1984 de George Orwell, la dictature décrite ici ne s'applique pas tant par la force et le contrôle politique des gens que sur leur conditionnement. Au delà de l'histoire et de l'ironie omniprésente, qui en valent la peine pour eux-même, ce livre nous en dit surtout beaucoup sur l'évolution de la société et la nature humaine.


 Ivoire, Mike Resnick


Mike Resnick, que j'ai découvert par hasard il y a quelques années, est selon moi l'un des très bons écrivains de science-fiction actuels. Comme dans tout les autres livres que j'ai lu de lui, il allie un certain classicisme, une écriture fluide et un univers original qui mélange les voyages dans l'espace et l'Afrique. Cette fois le personnage principal aide le dernier descendant des massaï à retrouver les défenses d'un éléphant tué sur terre il y a des milliers d'années. Chaque découverte est un prétexte à un chapitre qui raconte un passage de l'histoire de cet objet qui a porté malheur à tout ses propriétaires. Divertissant, Ivoire est tout de même un cran en dessous des romans faisant partie de L'infernale Comédie, qui comportent une réflexion sur la colonisation.


Les Hauts de Hurlevent, Emily Brontë


Imaginez, vous êtes seul dans votre grande demeure campagnarde, tandis que le vent et la pluie tempêtent à l'extérieur. Vous essayez péniblement de vous rapprocher du feu, mais votre âme est rongée par la passion, l'orgueil, la rancœur... Ce classique de la littérature britannique, torturé, douloureux, summum de la tendance anglaise pour le masochisme, est uniquement concentré sur les circonvolutions de l'âme humaine. Grande recherche de la complexité des personnages, légèrement agaçants sur les bords. Plus romantique, tu meurs.


Ronde de nuit, Terry Pratchett


Encore un Terry Pratchett ! Oui, car les connaisseurs disent "un Terry Pratchett", comme on dit "un Woody Allen", tellement chacune de leur œuvre leur ressemble. Cet épisode du cycle du Disque-monde fait partie de ceux concernant la garde de la cité d'Ank-Morpok, mais peut se lire indépendamment des autres. Et au delà du rire toujours présent, on peut se surprendre à apprécier les réflexions politiques développées par l'auteur...


Le portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde


Là encore une obligation, mais effectuée avec plaisir. Un style magnifique, dont je ne sais quelle part de mérite doit être attribuée au traducteur. L'auteur, en véritable dandy, décrit les apparences pour sonder les cœurs. Un monde superficiel, des personnages avec lesquels on garde toujours une certaine distance, mais de très belles pages.


Mes hommages à la donzelle, San Antonio


San Antonio c'est.une verve, un style vivant, jouissif et inimitable. Pour le reste, on a parfois l'impression qu'il écrit ses bouquins en deux semaines afin de mettre du beurre dans ses épinards. Mais il y a des livres que l'on choisit aussi en hommage à la donzelle...


Eux qui marchent comme les hommes, Clifford D. Simak


Simak est depuis longtemps mon écrivain de science-fiction préféré avec son compatriote Bradbury. Seulement, après avoir dévoré ses chefs-d’œuvre (Au carrefour des étoiles, Dans le torrent des siècles...) beaucoup de ses livres m'ont déçu. Comme la majorité des auteurs de l'époque dans ce genre (Isaac Asimov, Fredric Brown...) sa production est très inégale car soumise à des impératifs financiers. Ce livre est à peu près dans la moyenne, avec un style classique et proche du policier, des incohérences de scénario que la légèreté de la narration fait oublier et une très bonne idée : au lieu d'envahir la terre, les extra-terrestres ont décidé de l'acheter petit à petit jusqu'à la contrôler. Après avoir fini ce roman, je n'arrivais toujours pas à décider si Simak dans les années 60 avait conscience de l'aspect subversif de son livre et de la critique sociale qu'il constitue vis à vis du capitalisme. Le titre, identique en anglais, semble pourtant le confirmer et il est donc dommage de le trouver aussi en français sous celui d'Une certaine odeur.


Les chevaliers de la brune, Tim Powers


Après avoir lu de cet écrivain "Le tombeau d'Anubis", excellent roman Steampunk, j'avais envie de continuer l'aventure. Ce livre n'a pas tout le talent de son aîné mais lui ressemble en bien des points, notamment de se dérouler dans un cadre historique traversé par la magie. Vienne est assiégée par l'empire ottoman, mais derrière les guerres des nations, une autre bataille plus importante se déroule entre les puissances magiques de l'occident et de l'orient. En effet, si Vienne tombe, c'est le cœur spirituel de l'Europe qui disparait puisqu'il est situé dans... une bière unique fabriquée dans une brasserie de la ville. Du coup, qui mieux qu'un mercenaire alcoolique pour défendre les valeurs occidentales ? Un bon roman de fantasy, ni plus, ni moins.


La goutte d'or, Michel Tournier


L'auteur le dit lui-même dans l'une de ses interviews : ses romans ne sont que des prétextes pour faire passer "de la philosophie de contrebande". Ce à quoi on peut objecter en citant la fameuse phrase qu'aurait prononcée Mallarmé : "Ce n'est pas avec des idées que l'on fait des vers, mais avec des mots". En effet, si les réflexions de Tournier sur les dangers d'une société de l'image véhiculée par la culture occidentale sont extrêmement pertinentes, si la comparaison apportée par la civilisation "arabe" est bienvenue, la répétition des situations, le manque de subtilité des démonstrations et la sécheresse du style peuvent en décourager plus d'un.


Retour au meilleur des mondes, Aldoux Huxley


Il ne s'agit pas d'une suite au Meilleur des mondes, mais d'un essai écrit une vingtaine d'années plus tard, qui explicite et développe les théories qui sous-tendent le roman. Et c'est à ce moment seulement que je me suis aperçu du génie de l'auteur. Huxley y présente une vision extrêmement pessimiste de notre société, où les progrès de la science comportementale permettent un contrôle de plus en plus important des êtres humains. Il conclut sa présentation par un appel libertaire à la résistance intellectuelle, presque désespéré. Écrit en 1958, certains arguments sont datés mais le reste était visionnaire.


To be à suivred...

dimanche 8 juillet 2012

Tempo di Roma - Alexis Curvers


Extrait 1 :
On peut dire même, évidemment, que j'aurais mieux fait de rester dans mon pays, chez ma mère. Sans doute aurais-je fini par m'habituer à ce qu'on appelle la sagesse, aux fourneaux astiqués, aux pommes de terre frites et à la bière ; et peut-être même au ciel gris et à l'absence implacable de la beauté. Beaucoup d'autres s'en contentent et, paraît-il, n'en meurent pas. Moi, rien que d'y penser, je sens mes cheveux qui se dressent sur ma tête.
"Che bella storia !" comme dirait mon ancienne colocataire, calabraise pur jus certifiée AOC. Quel beau livre ! Rien que d'y penser mes mains tremblent, tellement je me sens indigne d'en écrire la critique. Comment décrire la magie de ce roman ? Comme le dit la préface, il suffit de l'ouvrir au hasard et de commencer à lire pour se sentir comblé. Peut être est-ce aussi parce que le destin du personnage principal y est similaire au mien : homme du nord, dilettante ayant commencé des études d'histoire de l'art, venu s'échouer dans cette cité millénaire. Surtout, Alexis Curvers a su si bien traduire les sentiments de cette congrégation officieuse que forment les amoureux de Rome, fervents amateurs de la beauté dont une citation trône en tête de chaque chapitre, là ou les autres ne voient qu'un champs de ruines. Habilement, l'auteur nous fait visiter Rome à la suite du narrateur, devenu guide touristique grâce à une combine, dont des autrichiens seront les premières victimes consentantes et satisfaites. Le personnage, qui découvre en même temps que son cheptel les lieux qu'il est censé commenter, ne fait part de ses véritables impressions qu'au lecteur. Il porte par ailleurs le même regard mi-désabusé, mi-paternaliste, que les habitants de Rome sur les touristes. Lors de sa première journée seul un couple d'amoureux et une vieille dame trouvent grâce à ses yeux.

Extrait 2 :
Elle se leva. Avant de sortir, elle considéra un moment encore le bar rutilant, les cristaux, le percolateur d'où s'échappait une vapeur sifflante, le geste habile du garçon qui servait une tranche napolitaine à deux femmes riant aux éclats... Moi, je reverrais souvent ce petit bar ouvert la nuit, fidèle et miroitant refuge des déceptions tardives, des attentes obstinées, des suprêmes espérances... Mais Mme Muller en recueillait jalousement l'image et la garderait par-devers elle jusqu'à sa mort, comme un fragment d'émeraude tombé de la couronne d'une reine, pour se rappeler dans son exil la majesté bénigne et familière de Rome.
Au fur et à mesure il prend ses habitudes, comme c'est souvent le cas là-bas. Il juge avec indulgence les romains, dont le comportement change du tout au tout selon qu'ils ont besoin de son aide ou non. Ses réflexions sur la ville le poussent d'ailleurs à des considérations plus générales qui font aussi l'intérêt du livre. Il se trouve une fiancée qu'il assimile à Rome, et un cercle d'amis et de connaissances se forme autour de lui, dont le plus attachant est sans aucun doute Sir Craven, aristocrate anglais un peu dandy dont le secret n'est révélé que dans les derniers chapitres.

Extrait 3 :
Il y eut un petit silence. On attendit qu'Orfeo demandât si l'Américain avait de l'argent. Mais la question était superflue et fut remplacée par une autre, de la marquise :
- Achète-t-il des œuvres d'art ?
- A propos, chère amie, m'écriai-je, qu'est donc devenu votre Chirico ? Cette peinture, en somme, a décidé de ma destinée. Vous vous souvenez ? Tempo di Roma.
- Il est à vendre, dit la marquise. Mais l'époque est mauvaise. Le tableau, d'ailleurs, ne vaut rien. Mais je raconte partout qu'il m'a été offert par Benito.
- Gran peccato, dit l'évêque.
La voix du perroquet résonna dans les profondeurs sinueuses de l'appartement.
- Encore un peu de temps, continua la marquise, et quelque fasciste mal repenti me le paiera au poids de l'or.
- Madonna ! répéta le perroquet.
- Gran peccato, dit l'évêque, ma bella combinazione.

Note : 5/5

dimanche 1 juillet 2012

Le joueur - Fiodor Dostoïevski


Extrait :
Or, elle n'en faisait rien; parfois même, elle m'incitait à parler... pour se moquer, bien sur. J'en suis certain, car je l'ai senti : cela lui était agréable, après m'avoir écouté et exaspéré jusqu'à la souffrance, de me déconcerter brusquement par quelque marque éclatante de mépris ou d’indifférence. Et cependant elle sait que je ne puis vivre sans elle. Ainsi, voici trois jours qu'à eu lieu l'histoire avec le baron, et je ne peux déjà plus supporter notre SÉPARATION. Lorsque je l'ai rencontrée tout à l'heure près du casino, mon cœur s'est mis à battre si fort que j'en ai pâli. Et elle non plus ne peut pas vivre sans moi! Je lui suis nécessaire... est-il possible que ce soit seulement comme bouffon?

Deux amis qui ont du cœur et de la cervelle (combinaison plus rare chez les gens qu'une quinte-flush dans une partie de poker), m'ont fortement conseillé de lire Dostoïevski. Comme je n'avais pas été entièrement convaincu après avoir commencé L'idiot (abandonné en cours de route), l'un d'entre eux m'a dit d'essayer Le joueur, récit plus court et qui l'avait particulièrement marqué. En effet les deux livres sont différents, le second étant plus facile à lire et comportant moins de digressions, car paradoxalement écrit dans l'urgence... pour répondre à des dettes de jeu. D'autres éléments d'ailleurs puisent dans la vie privée de l'auteur, le personnage de Pauline dont il est fait référence dans la citation plus haut, porte le même prénom qu'une amante avec qui il a fait un voyage peu avant. Pour celui-ci comme pour les autres, Dostoïevski a un véritable talent pour sonder l'âme humaine et les comportements de chacun. Tout l'intérêt du livre se trouve ici, un peu comme chez Maupassant et avec parfois la même bouffonnerie que chez Tchekhov (les deux se trouvant décidément cités dans presque tout mes articles). Le narrateur est assez désespéré, cynique, désabusé et surtout partage ce qui semble être l'aigreur de son inventeur. Un détail qui m'a marqué est que le livre est souvent violemment antifrançais, à un point qui pourrait passer pour du racisme s'il était publié aujourd'hui. Il faut se rappeler que le 19ème siècle est l'époque des généralités sur les nationalités (enfin, disons encore plus qu'aujourd'hui...), ce que l'on retrouve cette fois de façon positive sur les occidentaux dans les romans de Jules Verne. Il est tout de même intéressant d'observer que Dostoïevski (qui est russe) fait le même reproche que Kundera (qui lui, est tchèque) à nos compatriotes, c'est à dire de manquer de sentiments et d'avoir trop de manières. C'est à mon avis une interprétation erronée (un peuple pourrait il avoir plus de sentiments qu'un autre ?) d'une véritable différence culturelle, que nous, nous appelons de manière moins négative mais sans doute tout aussi fausse, "l'âme russe".

Note : 4/5

dimanche 17 juin 2012

Tous à Zanzibar, tome 1 - John Brunner


Pour la critique de ce livre, j'aurais vraiment aimé pouvoir vous citer des extraits (malheureusement il se trouve que je ne l'ai plus sous la main). Pourquoi ? Parce que l'auteur a utilisé une technique d'écriture très particulière pour de nombreux chapitre, où au lieu d'un récit, il accumule des phrases sans autres liens entre elles qu'elles permettent de décrire l'univers. Il s'agit en fait de brèves d'information, publicités, extraits de conversations, affirmations sorties de leur contexte... Cette forme de "zapping" est présentée un peu abruptement et sans explication, mais on comprend qu'elle fait partie de SCANALIZER, sorte de journal télévisuel. C'est sans doute cette particularité qui l'a consacré comme un classique de la science-fiction, tout en le rendant relativement indigeste à la majorité des lecteurs. Mais pas seulement. La majeure partie de ce tome 1 reste (et c'est heureux), de facture classique. Pourtant les destins des personnages ne semblent pas vouloir se croiser, ni former véritablement une histoire. Nous partageons une succession de points de vue dont l'ensemble forme une cohérence par la description d'un futur imaginaire... et pas forcément très rose. Surpopulation, écart grandissant entre les riches et les pauvres, augmentation de la violence, mépris des droits de l'homme, toute-puissance de l'argent, guerre froide continuelle entre grandes puissances, utilisation massives de drogues comme exutoire au manque de libertés... tels sont les lots de notre 21ème siècle. Lorsque j'ai commencé ce livre, j'étais persuadé qu'il avait été écrit dans les années 80. En effet la société décrite rappelle la dureté des années Ronald Reagan : ultralibéralisme, glorification de l'individualisme etc. D'autant plus que le personnage principale s'appelle... Donald Hogan. Pourtant, il a bien fallu me résoudre la première édition américaine date de 1969. Les thèmes et leur traitement sont très dickiens, et parfois préfigurent l’avènement du cyberpunk. Donc par certains aspects, cette œuvre m'a complètement scié. C'est un véritable livre de science-fiction, dans le sens où il imagine un futur possible, mais à une époque où les auteurs ne s'intéressaient plus seulement aux sciences dures, mais également aux science humaines. Et là où John Brunner a été le plus fort concerne la sociologie. Il a part ailleurs parfaitement prédit l'importance qu'on pris l'informatique, la chirurgie esthétique et l'omniprésence de l'information, alors que tout cela était beaucoup moins développé qu'aujourd'hui. Pour conclure je peux comprendre à la fois ceux qui affirmeront que c'est une œuvre de génie et ceux qui diront au contraire que c'est un bouquin assez chiant, car malgré tout la lecture est par moments longuette. Pour cette raison, je ne pense pas m'attaquer tout de suite au tome 2.

Note : 3/5