dimanche 28 novembre 2010

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne, Jean-Luc Lagarce


J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne, Jean-Luc Lagarce, écrit en 1994, publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.


La pluie semble être le motif motivant mes lectures ces derniers jours ; il s'agit pourtant d'une coïncidence. J'ai acheté cette pièce hier – trouvée d'occasion – et comme je lis tous les Lagarce qui me tombent sous la main depuis que j'y ai goûté, celle-ci a occupé une petite partie de mon après-midi.

Extrait 1, incipit

« L'AÎNÉE. – J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne.

Je regardais le ciel comme je le fais toujours, comme je l'ai toujours fait,

je regardais le ciel et je regardais encore la campagne qui descend doucement et s'éloigne de chez nous, la route qui disparaît au détour du bois, là-bas. »

Cinq femmes dans une maison, qui attendent, depuis la mort du père, le retour du fils banni par le premier. Et voici que justement, il revient. Il arrive, et il s'écroule dans l'entrée, sans même un mot. Épuisé par son voyage, ses errances. On le couche. Et les femmes parlent. La mère, les sœurs, expriment leur attente enfin récompensée et pourtant toujours aussi assoiffée puisque l'homme n'a encore rien dit. S'enchainent donc les monologues des femmes. Leur pensée s'écoule, se cherche, se formule pas à pas, de cette écriture si particulière à Lagarce, faites de répétitions et de corrections, de phrases interminables, d'alinéas intempestifs. Derrière l'amour que l'on prétend porter, et qui est la raison d'une attente qu'on ne saurait quantifier (des années, des années perdues) se dessinent peu à peu dans les mots le ressentiment, le reproche, la mauvaise foi. On lui reproche de n'avoir jamais donné signe de vie, alors qu'on lui portait tant d'amour, qu'on l'attendait si fort. Mais surtout, on aurait voulu partir, on lui en veut d'être parti de cette maison qu'on voudrait tant quitter. Un peu comme chez Tchékhov, on est englué, personne n'agit, on ne fait que parler, que regretter, et l'on vieillit, car le temps passe, mais c'est ainsi...

Comme chez Duras, les mots sont simples, les gens sont humbles. Et pourtant, c'est un vrai poème. Ce n'est pas un beau texte à proprement parler ; et sur une scène, il n'est certainement pas à prononcer comme un beau texte. La beauté vient comme par surcroît. Mais elle est bien réelle, suffocante.

Extrait 2

« LA SECONDE. – Longtemps, j'ai cru cela, qu'est-ce que j'en sais ? chose que j'ai lue, les livres que tu me lis ou me racontes, longtemps j'ai cru cela, l'idée que j'ai,

longtemps j'ai pensé ne pas survivre et me faire dévorer peu à peu par l'inquiétude et la douleur,

que je serai vieille, que je vieillirai à cause de lui, l'attendre, longtemps j'ai cru cela, que cela me détruira, le mot, que cela me détruira,

longtemps, j'ai cru cela, ce qui arrive, aujourd'hui, ce retour, je le craignais et j'en avais peur,

longtemps, j'imaginais que la mort de celui-là, la mort du jeune frère, longtemps j'ai cru, et voulu croire que sa mort m'emporterait avec lui. »


Cette œuvre, écrite un an avant la mort de l'auteur – qui se sait condamné, il a le sida – est touchante par cette recherche de mots pour dire, seulement dire, tout ce qui est là, tous ces sentiments, et finalement tout cet amour, aussi. Et, ce qui est si agréable avec le théâtre, il n'y a pas de narrateur, pas de commentaires donc, juste ces mots de femmes présentés au lecteur – au spectateur le cas échéant, mais dans une mise-en-scène, force est d'interpréter (justement) et ce sont des acteurs qui parlent.


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