mercredi 9 février 2011

Le Désert des Tartares, Dino Buzzati


Giro in Italia :
lire au moins 1 livre ou 1 BD d’un auteur italien (peu importe qu’il se déroule en Italie ou pas) = mission accomplie !

J'ai acheté ce livre il y a bien trois ans maintenant. De Buzzati, je connaissais l'écrivain de nouvelles : Le K. Un de mes recueils de nouvelles préféré. Un sens magistral du micro-récit, des idées souvent géniales et une interrogation constante sur l'homme et la vie. Le Désert des Tartares est le premier roman de l'écrivain italien, paru en 1949. Un jeune officier est envoyé en garnison au fort Bastiani, qui garde la frontière Nord. Des montagnes desséchées, un désert qui s'étant à perte de vue, pas âme qui vive. Des hommes sont là pour garder – mais garder quoi ? Rien ne vient du Nord. Il ne se passe jamais rien, et le temps passe, uniforme. Pourtant, chacun, au fond de soi, entretient le vague espoir que quelque chose va arriver. Même des années après, on y croit encore, à l'éveil de cette frontière ; des petits points noirs à l'horizon. Et quand ils finissent par arriver, qu'on ose à peine y croire...est-ce vraiment la guerre ?
Je lis peu de traduction maintenant, et chaque fois que je le fais je me rappelle pourquoi je n'aime pas ; on sent la grosse patte pas toujours subtile d'un traducteur, on ne peut pas saisir pleinement le style de l'auteur. C'est comme ça. Enfin, heureusement qu'on peut découvrir des écrits qu'on ne peut lire en langue originale, il y a tout de même quelque chose à apprendre ; tout ne se résume pas au style. L'abîme ouvert par Buzzati dans son roman est immense. L'extrait que je vous propose donne justement un aperçu de cette réflexion sur le temps et l'attente.

Extrait :
Tronk, à qui Giovanni avait tout à l'heure demandé des renseignements, lui avait fait comprendre que la bonne règle était de rester éveillé.
Au lieu de cela, Giovanni Drogo, étendu sur le petit lit, hors du halo de la lampe à pétrole, fut, tandis qu'il songeait à sa vie, pris soudain par le sommeil. Et cependant, cette nuit-là justement – oh ! s'il l'avait su, peut-être n'eût-il pas eu envie de dormir – cette nuit-là, justement, commençait pour lui l'irréparable fuite du temps.
Jusqu'alors, il avait avancé avec l'insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s'écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s'aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n'y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s'arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l'horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l'espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu'un jour on les atteindra.

C'est assez proche, dans l'idée, des romans de Gracq Le rivage des Syrtes et Un balcon en forêt ; l'atmosphère d'attente, l'exploration métaphorique de la vie...mais l'écriture n'a rien a voir. J'ai lu Buzzati avec plaisir, mais pas le même plaisir qui me fait dévorer un Gracq, c'est certain. Cependant je dois dire que la réflexion philosophique a fait mouche, et qu'après l'avoir commencé, comme maintenant que je l'ai terminé, j'ai passé quelques moments dans un vague métaphysique assez déroutant. Un véritable interrogation humaine, poignante et toujours d'actualité.

3 commentaires:

  1. Merci pour ce billet, qui est ajouté sur la page du suivi du challenge.
    En lisant cet extrait, je me suis souvenue de la raison pour laquelle je n'avais pas aimé le K : cette latence, cette langueur de l'écriture. Mais c'est tout de même un très bel extrait. Peut-être aussi étais-trop jeune pour lire le K (j'ai voulu le lire lorsque j'avais 13 ou 14 ans, j'étais au collège ...)
    A essayer à nouveau ...

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  2. Je l'ai lu au collège aussi, j'avais bien aimé...mais rien comparé à la relecture quelques années après. Essaie à nouveau ;)

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  3. J'avais beaucoup aimé la fantaisie et le fantastique du K, mais je ne suis pas sur que j'apprécierais ce lointain cousin de Godot. Pour moi Buzzati est vraiment un maître de la nouvelle courte, ce qui ne demande pas forcément les mêmes qualités que pour un roman.

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