Voici un livre que j'ai commencé il y a plusieurs mois, bien avant que David n'en fasse la critique, et qui fait partie de ceux que je n'avais pas pu emporter en Italie (mais y a-t-il si peu de classiques pour nous ne puissions lire des livres différents ?) De retour en France pour une semaine, je m'y suis donc consacré de nouveau dès la première page, avec pour bagage ma formation en Histoire de l'art et archéologie.
Tout d'abord ce qui frappe est l'incroyable clarté de son discours et l'utilisation appropriée de la raison. Rares sont les auteurs de son époque qui n'énoncent pas quelques théories dépassées, et dont la faiblesse du raisonnement nous paraît aujourd'hui évidente. Pour s'en convaincre il suffit de feuilleter d'anciennes éditions des "Que-sais je ?", ou plus généralement de nombreux ouvrages en sciences humaines. Levi-Strauss n'en fait pas partie. Au contraire il sait prendre "la raison par le bon bout" (selon l'expression de Gaston Leroux) pour balayer de fausses évidences, sans tomber dans le piège suivant de la pensée. L'auteur fait preuve d'une extraordinaire lucidité et son ouvrage est tellement structuré, que ce serait presque un plaisir d'en faire une note de synthèse. Le mot qui vient à l'esprit est celui de génie. Pas le génie créatif d'un Rimbaud, mais celui qui sait aller plus loin que l'homme du commun dans la compréhension de ce qui est faux, et de ce qui ne l'est pas. Par ailleurs, mais ce n'est peut être qu'une conséquence de ce qui est dit plus haut, la langue est facile. Nul doute qu'une partie de son succès vient de sa capacité à se faire comprendre, sur des sujets complexes. "Ce qui ce conçoit bien s’énonce clairement" pour citer Boileau.
Que dit-il ? Le principal de son discours tend à réévaluer les cultures non occidentales, sans pour autant tomber dans la facilité. S'il n'y a pas des différences biologiques fondamentales entre les différentes groupes humains, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de différences sociologiques. Cela veut il dire que certaines sociétés sont plus "évoluées" que les autres ? Non, car la nature de leur évolution (pas forcément technique) n'est pas toujours perceptible par une autre culture, à cause justement de leurs différences. La théorie selon laquelle les sociétés dites "primitives" ne serait qu'à une étape de l'évolution déjà effectuée en Europe ne résiste pas à l'analyse, car ces dernières sont souvent très différentes des société européennes précédentes, avec lesquelles on a pourtant tenté d'établir un amalgame. Argument supplémentaire, le "progrès" d'une société se fait d'autant plus qu'elle est en contact avec une autre société différente. Ce progrès ne vient donc pas cette culture elle-même mais de la "collaboration" créée entre des groupes différents de population (y compris dans la même culture). Il y a par ailleurs de très intéressantes pages sur l'archéologie.
Extrait 1 :
Cela signifie deux choses : d'abord que le "progrès" [...] n'est ni nécessaire, ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s'accompagnent de changements d'orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le même sens.
Extrait 2 :
Note : 5/5Nous considérons ainsi comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue au nôtre, c'est-à-dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaîtraient comme stationnaires, non pas nécessairement parce qu'elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n'est pas mesurable dans les termes du système de référence que nous utilisons.
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